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La surmécanisation, entre mythe et réalité

Un cliché bien ancré présente l’agriculteur comme étant suréquipé. Posséder un tracteur serait d’abord une question de statut. La stratégie d’exploitation intègre en fait une multitude d’éléments, liés à la main d’oeuvre, la surface cultivée, la perception du risque, la fiscalité.

Les derniers chiffres issus des centres de gestion confirment le poids de la mécanisation en grandes cultures. Ces charges ont atteint un sommet en 2013, avant que les investissements en matériel chutent par manque de revenus. L’année 2018-2019 marquerait une stabilisation des amortissements. Quant à la comparaison avec d’autres pays céréaliers, l’observatoire d’Arvalis montre bien que la France se situe dans le haut de la fourchette concernant les charges de mécanisation et main d’oeuvre. Sans avoir à rougir par rapport aux concurrents d’Amérique du Nord. Des solutions de partage de matériel existent pour limiter les coûts de mécanisation, mais elles plafonnent.

L’antienne est bien connue, nourrie par ce type d’anecdote : étonné de voir quatre tracteurs dans une ferme aveyronnaise et non plus deux, un syndicaliste en fait la remarque. L’éleveur lui répond : « Comme ça, on ne dételle pas ! ». Loin d’être représentatif, ce cas entretient l’idée d’une surmécanisation de l’agriculture française. Mythe et réalité ? Un mythe, aux dires de certains.

« La surmécanisation, j’en entends parler depuis trente ans. Mais sans rien voir de tangible », affirme Jean-Louis Chandelier, directeur à la FNSEA du département entreprise et territoires. Une réalité, à en croire des rapports officiels. Exemple avec la stratégie nationale sur la Pac post 2020, il est écrit noir sur blanc dans le projet de diagnostic : l’amont agricole a besoin de « réduire les charges d’exploitation, notamment les charges de mécanisation en favorisant l’investissement dans un cadre collectif ». Alors, que disent les chiffres? La France se situe bien dans le haut de la fourchette concernant les charges de mécanisation plus main d’oeuvre, d’après l’observatoire international d’Arvalis basé sur des fermes performantes. Elle affiche 60 à 70 EUR/t sur ce poste, à peu près comme le Canada, les autres exportateurs de blé et maïs atteignant 30 à 80 EUR/t. À ce jeu, les États-Unis sont les moins compétitifs et la Mer Noire est la plus vertueuse.

Fenêtre de tir, main d’oeuvre

De là à dire qu’il y a sur-mécanisation en France, il y a un pas. Les causes de cette forte mécanisation sont multiples, liées au coût de la main d’oeuvre, à la structure d’exploitation, à la fiscalité. Au calendrier des travaux également : être bien équipé, c’est pouvoir intervenir à temps. « Rien qu’au vu des parcelles plus petites dans l’Hexagone, des fermes plus morcelées, le parc de matériel ne peut pas être le même qu’aux Etats-Unis, en Argentine ou en Ukraine. » « L’agriculteur au Canada ou au nord des Etats-Unis doit très vite effectuer les semis » Pour parler de mécanisation, il faut aussi considérer la main d’oeuvre, juge-t-on chez Arvalis, car l’arbitrage des deux postes est très lié. « L’agriculteur au Canada ou au nord des Etats-Unis doit très vite effectuer les semis : sa fenêtre de tir est réduite. Et comme la main d’oeuvre lui coûte cher, il préfère être bien pourvu en matériel », explique Valérie Leveau, responsable Economie et Systèmes de production chez Arvalis. C’est l’inverse en Argentine. Au pays des gauchos, la main d’oeuvre est moins onéreuse, la réglementation sociale plus souple. On y observe un parc de matériel réduit, par unité de surface. D’où un total de charges de mécanisation plus main d’oeuvre (hors cotisations sociales du chef d’exploitation) inférieur de moitié par rapport à la France, où la « fenêtre de tir » pour les mêmes travaux apparaît moyenne, selon elle. Au bas de l’échelle figurent l’Ukraine, la Russie.

Optimisation fiscale

Seule une analyse plus fouillée permettrait de déceler une surmécanisation. Une récente étude Arvalis-Unigrains explore la question au travers des données des centres de gestion. En comparant les comptes de plusieurs milliers d’exploitations en céréales et oléoprotéagineux sur la période 2013-15, l’étude apporte quelques pistes. Les 20 % ayant les meilleurs coûts de production se distinguent par une productivité du travail au moins égale à 1 100 tonnes de blé par actif (contre une moyenne autour de 700 t/actif), et des charges de main d’oeuvre et mécanisation entre 60 et 70 EUR/t (contre 100 EUR/t). Autrement dit, les agriculteurs les plus économes le sont souvent grâce au complexe «main d’oeuvre/mécanisation». L’économiste d’Arvalis admet que des agriculteurs français investissent trop. Mais sans en faire une généralité. « Le problème, c’est : comment faire des économies d’échelle ? », explique-t- elle, soulignant la complexité du calibrage entre matériel et surface. « Il y a d’autres options qu’investir mais ça n’est pas toujours moins cher.» « En France, l’évolution des investissements en matériel reste très liée au résultat annuel »

Fin du suramortissement

Le niveau d’équipement peut enfin s’expliquer par de l’optimisation fiscale. Un domaine dans lequel les conseillers ont acquis une réputation. « Il faut arrêter de dire que les centres de gestion poussent à investir, répond agacé Marc Varchavsky, responsable du conseil économique chez Cerfrance (centres de gestion). L’agriculteur, en tant que chef d’entreprise, est maître de ses décisions. Par contre, certains disent à leur conseiller ne pas vouloir payer d’impôt, même quand l’exploitation dégage du revenu. » La solution consistait, en pareil cas, à profiter de dispositions fiscales. Instauré par la loi Macron de 2015, le suramortissement permettait de bénéficier d’une déduction exceptionnelle de 40 % de la valeur du bien. Il est aujourd’hui réservé aux PME industrielles. La réforme en 2018 de la fiscalité agricole a par ailleurs substitué aux déductions pour investissement (DPI) et déduction pour aléas (DPA) un dispositif d’épargne de précaution, jugé plus vertueux. « En France, l’évolution des investissements en matériel reste très liée au résultat annuel,estime Marc Varchavsky. C’est une tradition : les agriculteurs ont l’habitude de réinvestir plutôt que se rémunérer davantage. Des fois, ça amène du suréquipement. Dans les autres pays, le raisonnement est plutôt orienté business et vise à dégager de la valeur. » « Il y a d’autres options qu’investir mais ça n’est pas toujours moins cher » Même son de cloche chez les industriels de l’agroéquipement. « On ne peut pas dire que le raisonnement à l’achat est basé sur du rationnel, le retour sur investissement », confie Alain Savary, directeur général du syndicat Axema. Des gammes économiques ont même dû être abandonnées par divers constructeurs, au profit de matériels équipés d’options, selon lui.

JCD

LES INVESTISSEMENTS ONT RECULÉ CHEZ LES CÉRÉALIERS DEPUIS 2013

« Un recul des investissements est observé depuis 2013 chez les scopeurs » (acronyme des producteurs de céréales et oléoprotéagineux), souligne Valérie Leveau, responsable Economie et Systèmes de production chez Arvalis. En cause, des revenus en berne, à la fois parce que les prix et les aides ont baissé, les charges sont restées fortes, selon elle. L’investissement en matériel est passé de 180 euros/ha sur la période 2007-13 à 102 euros/ha en 2014-17. Problème, le remboursement en capital des emprunts à moyen et long terme montre une lente décrue, à 159 euros/ha en 2017.

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